Il arrive parfois qu’un locataire quitte son logement au cours du bail sans aviser le locateur de ses intentions. Dans une telle situation, la question qui se pose est de savoir si le bail est résilié ou non suite au départ du locataire.
L’article 1975 du Code civil du Québec stipule ce qui suit:
« Le bail est résilié de plein droit lorsque, sans motif, un locataire déguerpit en emportant ses effets mobiliers; il peut être résilié, sans autre motif, lorsque le logement est impropre a l’habitation et que le locataire l’abandonne sans en aviser le locateur. »
Il n’est pas toujours évident de savoir si le locataire a déguerpi ou non.
Dans l’affaire Pelletier c. Leclerc (1) la locataire demandait la résiliation du bail, parce que les locateurs avaient refusé la cession du bail sans aucun motif valable, ainsi que des dommages pour troubles et inconvénients de 22,500.00$ et des dommages punitifs de 2,500.00$ pour atteinte à un droit fondamental reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne.
Les locateurs ont répondu en déposant une requête en irrecevabilité, soutenant que le bail était déjà résilié suite au déguerpissement du locataire, conformément à l’article 1975 C.c.Q.(2)
En l’espèce, les locateurs avaient reçu une lettre de la locataire annonçant qu’elle quitterait le logement le 3 novembre et un avis d’Hydro-Québec les informant qu’ils seraient responsables de la facture d’électricité à partir de la même date. Ils ont répondu à la locataire en lui proposant une entente pour résilier le bail, mais aucune réponse n’a été donnée.
La locataire déménagea du logement en emportant, le 3 et le 10 novembre 2007, presque la totalité de ses effets mobiliers et personnels. Un mois plus tard, n’ayant entendu aucun bruit et n’ayant pas revu la locataire, les locateurs décidaient de vérifier l’état du logement. Ils constataient alors qu’il ne restait qu’un divan et quelques effets. Le 17 janvier 2008, les locateurs changeaient les serrures du logement. Le même jour, ils recevaient un avis de cession de bail envoyé par la locataire.
La locataire a prouvé pendant l’instance qu’elle a continué de payer son loyer et ses factures d’Hydro-Québec.
La Cour nous rappelle que le mot « déguerpir » désigne le départ soudain d’une personne dans le but de se soustraire à ses obligations. Au sens du Code civil, le locataire déguerpit seulement si deux conditions sont remplies. Premièrement, il a quitté le logement en emportant tous ses effets mobiliers et, deuxièmement, il n’avait aucun motif valable pour le faire.
Dans ce cas, après avoir analysé la preuve, le tribunal a conclu que la locataire n’avait pas déguerpi et que le bail n’était pas résilié suite à son départ. D’ailleurs, il a décidé que la locataire avait, dans les circonstances, le droit de céder son bail. Pour ces raisons, la requête en irrecevabilité des locateurs a été rejetée.
Dans une autre affaire, Archambault c. Fleury-Aubé-Martin (3), la locataire avait quitté définitivement le logement, mais continuait de payer son loyer et avait engagé un agent d’immeuble dans le but de céder ou de sous-louer son bail. Le tribunal a conclu que, dans les circonstances, la locataire n’avait pas déguerpi. C’était la locatrice qui avait mis fin au contrat en demandant à l’agent d’immeuble de la locataire les clés du logement.
Par ailleurs, si un logement est impropre à l’habitation, le locataire a un motif valable pour l’abandonner.
À la lumière de ce qui précède, pour qu’un bail soit résilié de plein droit conformément à l’article 1975 C.c.Q., plusieurs conditions doivent être remplies. D’abord, le locataire déménage en cours de bail en emportant ses effets mobiliers. Ensuite, il se soustrait à ses obligations, dont la plus importante est le paiement du loyer. Finalement, le locataire n’a aucune raison valable pour quitter.
En cas de déguerpissement, le locateur devra mitiger ses dommages et tenter de relouer son logement le plus rapidement possible. Chaque cas est un cas d’espèce et la Cour aura à décider si le locateur a mitigé ou non ses dommages.
Dans le cadre d’un jugement prononcé le 12 février 2010, en appel d’une décision de la Régie du logement, l’Honorable juge Jacques Paquet a eu à répondre à la question suivante :
« Les locateurs ont-ils droit à des dommages pour perte de revenus locatifs et, dans l’affirmative, quel est le montant de cette indemnité?(4) »
Les parties étaient liées par un bail du 1er septembre 2007 au 31 août 2008. Au cours du mois de janvier 2008, les locataires déguerpissent. Le logement n’est reloué que le 1er juillet 2008.
Les locateurs s’adressent à la Régie du logement qui condamne les locataires « à payer 9 900.00 $ aux locateurs, soit 1650.00 $ pour le loyer impayé du mois de janvier 2008 et l’équivalent de cinq mois de loyer pour la perte de revenus locatifs.»
Les locataires ont prétendu en appel que les locateurs n’ont pas fait les efforts raisonnables pour offrir en location leur maison.
Le tribunal infirme le jugement de la Régie du logement et accorde quatre mois d’indemnité de relocation au motif que les locateurs, en ne publiant pas d’annonce dans les journaux, ont « négligé une démarche qui aurait pu être efficace, d’autant plus qu’elle l’a été par le passé.»
Il est donc primordial de passer régulièrement des annonces dans les journaux pour relouer votre logement si vous désirez poursuivre votre locataire pour les pertes subies en cas de déguerpissement.
(1) Pelletier c. Leclerc, 2010 QCRDL 10816
(2) « Le bail est résilié de plein droit lorsque, sans motif, un locataire déguerpit en emportant ses effets mobiliers; il peut être résilié, sans autre motif, lorsque le logement est impropre à l’habitation et que le locataire l’abandonne sans en aviser le locateur. »
(3) Archambault c. Fleury-Aubé-Martin, 2010 QCRDL 8651
(4) Morin et al. c. Hachem et al., EYB 2010-170402 (C.Q.), 18 février 2010