Il est toujours possible pour un locateur de demander la résiliation du bail d’un de ses locataires lorsque ce dernier cause un préjudice sérieux, y compris dans les cas de consommation de marijuana.
À titre d’illustration, dans le dossier Chassé c. Chartier[1], le locateur, propriétaire d’un duplex, demandait la résiliation du bail de son locataire au motif que ce dernier consommait régulièrement de la marijuana et que la fumée et l’odeur se propageaient dans le duplex et, plus particulièrement, dans son logement situé en bas de celui du locataire. Lors de l’audition, il a témoigné que la fumée et l’odeur persistante, envahissante et nauséabonde le dérangeaient et l’affectaient considérablement, ainsi que son épouse. Ils avaient « l’impression d’étouffer tellement cette odeur les indispose en plus de leur causer des problèmes de sommeil. » Tous deux étaient âgés de 70 ans et souffraient de divers maux.
Le locataire a admis avoir consommé du cannabis depuis septembre 2016, à des fins thérapeutiques selon une prescription médicale. Il a témoigné également que la consommation de cannabis lui permettait de soulager ses douleurs chroniques et quotidiennes. Il a également témoigné avoir reçu, depuis quelques semaines de Santé Canada, l’autorisation de cultiver jusqu’à une dizaine de plants de cannabis pour sa consommation personnelle, due à sa santé précaire.
Le locataire insistait également sur le fait que son droit de fumer de la marijuana à l’intérieur de son logement était protégé par son droit à la vie privée.
La question en litige était donc de savoir si l’utilisation de cannabis à des fins thérapeutiques pouvait entraîner la résiliation du bail.
Concernant la consommation de cannabis dans le logement, l’odeur ainsi que la fumée, le juge administratif s’en réfère aux règles de bon voisinage précisées à l’article 976 du Code civil du Québec, lequel prévoit :
« 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leur fonds, ou suivant les usages locaux. »
Il réfère par la suite à l’article 1860 C.c.Q. qui stipule que le locataire doit se conduire « de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires».
Il cite par la suite la décision Lacasse c. Picard[2], dans laquelle il fut décidé :
« Pour réussir en la présente cause, les locateurs doivent établir que les locataires ou une personne dont ils sont responsables ou à qui ils permettent l’accès au logement a eu, au cours d’une certaine période, des comportements et des attitudes qui par leurs répétitions et insistances agacent, excèdent ou importunent gravement les autres locataires du même immeuble, troublant ainsi la jouissance normale des lieux à laquelle ils ont droit. »
Relativement au droit du locataire à la vie privée dans son logis, le juge administratif cite la Cour suprême qui a déjà statué que «la fumée de la marijuana à l’intérieur d’un logement relève plutôt d’une préférence quant à son mode de vie et ne saurait être un droit protégé. »
Il ajoute également que la Cour suprême a reconnu « que la protection de la population contre la fumée secondaire est un objectif d’intérêt légitime ».
Au paragraphe 40 de son jugement, le juge administratif écrit qu’« il est de connaissance judiciaire que l’odeur de la fumée de marijuana est plus prononcée et plus persistante que celle de la cigarette, ce qui permet de croire que celle-ci, lorsqu’elle pénètre dans un logement, peut affecter la jouissance de celui-ci, surtout avec une récurrence de sept à huit fois par jour, voir même avoir des conséquences sur la santé des occupants de celui-ci. »
Après avoir entendu la preuve, la Régie conclut que « le locataire, par l’inhalation de la fumée de marijuana de façon récurrente dans son logement, est une source d’ennuis et qu’il porte atteinte aux droits des autres occupants de l’immeuble et à leur jouissance paisible et normale des lieux. Le Tribunal estime donc que la nuisance causée par cette odeur de fumée de marijuana est assez répétitive et persistante pour constituer une source d’ennuis et d’inconvénients sérieux pour les locateurs lesquels sont voisins du locataire. »
En conséquence, la résiliation du bail a été prononcée et l’éviction du locataire et des occupants du logement ordonnée.
[1] 2018 QCRDL 235
[2] R. L. Québec no. 18-8.