Il arrive parfois qu’un locataire quitte son logement, soit à la fin de son bail, soit par déguerpissement, et qu’il y laisse des effets. Dans une telle situation, quelle est la réaction appropriée pour un propriétaire?
Afin d’être considéré avoir agi en toute légalité et de bonne foi, plusieurs étapes doivent être suivies avec attention :
1) Votre locataire est-il vraiment parti?
Avez-vous un écrit qui vous indique que tel est le cas? Si non, mieux vaut vous en procurer un avant toute chose. Un avis de non-renouvellement est amplement suffisant si la date de fin de bail est passée.
2) Avez-vous des preuves?
Prenez des photos du logement, des biens restants, de leur état. Examinez le logement, avec un tiers neutre qui pourra venir témoigner si jamais une réclamation est faite contre vous par votre ancien locataire. Notez que vous ne pouvez pas pénétrer dans le logement si l’étape 1 n’est pas remplie au risque de vous voir poursuivi pour atteinte à la vie privée.
3) Quelle est la valeur des biens laissés?
Si les biens ont très peu de valeur ou sont dégradés à un point tel qu’ils ne valent plus rien, ils peuvent être jetés sans plus de formalité. Effectivement, de tels biens sont réputés abandonnés par leur propriétaire (art. 934 C.c.Q.) S’ils valent quelque chose (une télévision, une machine à laver, un sommier relativement neuf, etc.) il s’agit de biens oubliés et non abandonnés (art. 939 C.c.Q.), il faut donc passer à l’étape 4. Dans le doute, mieux vaut également passer à l’étape suivante. Il est important, aussi, de porter une attention particulière aux objets qui peuvent avoir une valeur affective (albums photo, bijoux, etc.)
Un bien peut également être considéré comme abandonné si un propriétaire n’a fait aucune démarche pour les récupérer ni avisé personne de son intention pendant un certain temps. C’est cette décision qui avait été prise dans De Launière c. Bonneau(1), dans laquelle Monsieur De Launière avait quitté la maison mobile qu’il louait en laissant sur place son cabanon et plusieurs biens. Le juge avait alors décidé qu’étant donné ses agissements, soit qu’il n’avait pas donné de nouvelles depuis deux mois, qu’il avait cessé de payer le loyer, qu’il n’était pas joignable et qu’il n’avait pas tenté de récupérer ses biens avant, il avait abandonné et non oublié ses biens.
4) Votre locataire a-t-il été avisé?
Avant de pouvoir vendre ou jeter un bien oublié, lorsque vous en connaissez le propriétaire, vous devez aviser ce dernier de venir chercher ses biens à défaut de quoi ils seront vendus ou jetés. L’avis est de 60 jours et devra être donné par écrit, avec une preuve de réception (huissier ou courrier recommandé). Dans l’intervalle, vous devez conserver les biens dans un endroit sécuritaire. Si le propriétaire vient les chercher, il devra vous payer les frais d’entreposage et d’administration. Dans le cas contraire, vous pourrez vous rembourser à même le produit de la vente du bien.
Une fois toutes ces étapes respectées, vous pourrez disposer des biens.
Si vous ne respectez pas cela, des recours peuvent être entrepris contre vous par le propriétaire des biens, soit un recours en remboursement des biens, pour dommages moraux et pour atteinte à la vie privée. Ce dernier recours peut être encouru plus particulièrement à l’encontre de propriétaires qui retiennent illégalement des biens pour une dette de loyer.
Il a été décidé à de nombreuses reprises par les tribunaux que nul ne pouvait se faire justice à soi-même. En effet, dans la cause Ghaho c. Germain(2), Mme Ghaho, la locataire, avait entreposé sans permission ses machines à coudre dans un couloir de l’immeuble, bloquant de ce fait l’accès aux robinets de gaz et d’eau, ce qui pouvait causer un danger en cas d’urgence. Le propriétaire, après avoir avisé verbalement la locataire, à de nombreuses reprises, décidait de mettre le tout à la rue et appelait un ferrailleur pour que ce dernier récupère les biens. La locataire a fait une réclamation de 78 850.00 $ contre le propriétaire, plus particulièrement, une réclamation 37 500.00 $ pour la perte des équipements de couture et de 10 000.00 $ pour dommages exemplaires, l’excédant étant relatif à un autre incident. Par manque de preuve sur la valeur réelle de l’équipement, le tribunal arbitra une somme de 6 700.00 $ pour la perte matérielle. Dans cette cause, le tribunal souligne également que le propriétaire avait d’autres recours et aurait dû procéder par la voie des tribunaux plutôt que de se faire justice.
Considérant les circonstances, la Cour vient de plus à la conclusion que 7 500.00 $ devraient être accordés à la locataire à titre de dommages punitifs pour atteinte à la dignité de la locataire, à sa jouissance paisible et libre disposition de ses biens et à son droit à une audition préalable par un tribunal avant que le propriétaire ne jette ses biens. Le juge de la Cour supérieure conclut que « … il demeure que le principe – nul ne peut se faire justice à soi-même – doit continuer de s’appliquer avec rigueur pour interdire la mise à la rue de biens sans autorisation judiciaire préalable, et ce, afin d’éviter l’anarchie, l’abus et la violence. »
Évidemment, il s’agit d’un cas extrême, mais les tribunaux judiciaires restent tout de même très sévères envers ceux qui se font justice, au mépris des droits de chacun.
(1) Ronald De Launière c. Yannick Bonneau et Alexandre Laflamme, 2013 QCCQ 1509, 155-32-000067-129 l’Honorable Jean Hudon, J.C.Q., 28 février 2013;
(2) Blandine Ghaho c. Daniel Germain, 2013 QCCS 2604, 500-17-056748-109, l’Honorable Gérard Dugré, J.C.S., 12 juin 2013.