Le 17 octobre 2018, la Loi encadrant le cannabis est entrée en vigueur. L’article 107 de cette loi prévoyait qu’un propriétaire pouvait modifier les conditions de ses baux existants pour y ajouter une interdiction de fumer du cannabis, et ce, au plus tard le 15 janvier 2019.
Pour ce faire, le locateur devait transmettre à chacun de ses locataires un avis à l’effet qu’il était dorénavant interdit de fumer du cannabis dans le logement et les aires communes de l’immeuble.
Le locataire pouvait contester l’avis du locateur dans le mois de sa réception, pour des raisons médicales seulement. En cas de refus, le locateur avait alors 30 jours pour demander à la Régie du logement de statuer sur la modification.
En l’absence de contestation, l’interdiction était réputée inscrite au bail 30 jours après la réception par le locataire de l’avis de modification.
Suite à l’entrée en vigueur de la loi, plusieurs avis ont été envoyés et contestés pour diverses raisons médicales. Par exemple, dans Gestion immobilière Langlois c. Brodeur (1), la locataire contestait l’avis de modification en invoquant qu’elle prenait depuis plusieurs années du cannabis pour des raisons médicales. Dans ce dossier, la locataire n’avait aucune ordonnance d’un médecin appuyant ses dires. Elle avait produit un simple papier de médecin indiquant « Cette patiente consomme du cannabis et affirme que cela l’aide au niveau de son appétit et de son insomnie ». La régisseuse a confirmé que cela était suffisant dans les circonstances, indiquant, suite à l’écoute des débats parlementaires, qu’il était très difficile d’obtenir une ordonnance d’un médecin considérant que le cannabis n’était pas un médicament. La locataire a donc pu continuer à fumer.
Également dans un autre dossier (2), la locataire s’objectait à l’avis de modification au motif que son conjoint, lequel n’était pas inscrit au bail, consommait du cannabis à des fins médicales. Le régisseur est venu à la conclusion que la loi, telle que rédigée, ne permettait pas de s’objecter pour un tiers au bail et la modification a été accordée.
La loi provinciale stipule également une interdiction complète de la culture du cannabis non thérapeutique à des fins personnelles et la possession de plus de 150 grammes de cannabis séché par domicile. Elle interdit aussi la consommation du cannabis dans les aires communes des immeubles comportant au mois 2 logements, ainsi que dans les résidences privées pour aînés.
Maintenant que la période de transition de la loi est terminée il est à prévoir que plusieurs propriétaires interdiront catégoriquement dans tous leurs baux futurs de fumer du cannabis.
Mais qu’en est-il des baux déjà existants pour lesquels un propriétaire aurait omis d’envoyer l’avis de l’article 107? Est-ce possible de modifier le bail à son renouvellement?
Dans une des premières décisions sur le sujet (3), le bail des parties prévoyait : « Logis non-fumeur en tout temps. » Le locateur voulait faire ajouter la clause suivante : « En aucun temps, et pour quelque raison que ce soit, il ne sera permis de cultiver, produire, conserver, distribuer, consommer ou fumer dans votre logement ainsi que dans le garage ou sur les balcon et terrain de la propriété tout produit de cannabis. »
Le locateur voulait introduire la clause mentionnée au paragraphe précédent au motif qu’il avait reçu des informations à l’effet que le fils du locateur aurait fumé du cannabis sur le balcon et compte tenu de la législation prochaine du cannabis.
La greffière spéciale cite l’affaire Stanco c. Leblanc(4) et explique qu’une modification au bail qui a pour objet de supprimer un usage, un accessoire ou un service s’apparente à une demande de résiliation partielle du bail. Or, cela ne serait pas possible en application de l’article 1863 du Code civil du Québec. En effet, cet article indique les différents recours possible lorsqu’une partie n’exécute pas ses obligations, soit demander des dommages-intérêts, l’exécution en nature, ou la résiliation du bail en cas de préjudice sérieux. Une partie ne peut donc pas modifier simplement le bail, mais doit plutôt user du mécanisme prévu à l’article 1863.
La greffière spéciale a rejeté la demande en concluant que la demande de modification de bail visait à sanctionner un comportement.
Dans une autre décision(5), la locatrice voulait faire ajouter au bail la clause suivante dans le cadre d’une demande de fixation du loyer:
Il est strictement interdit de fumer la cigarette et/ou de la marijuana à l’intérieur et à l’extérieur dans la cour arrière. Sur le balcon avant et sur le balcon arrière à compter du 2018/07/01.
En se basant sur les mêmes principes que dans la première cause, la greffière spéciale conclut que l’interdiction demandée visait à sanctionner un comportement du locataire et rejette la demande.
Suite à l’entrée en vigueur de la loi, la jurisprudence est demeurée constante, interdisant l’ajout de la clause en cours de bail.
À la lumière de ce qui précède, il n’est pas possible, pour un propriétaire, d’ajouter une clause d’interdiction de fumer du cannabis au moment du renouvellement d’un bail déjà existant, cela, à moins d’obtenir le consentement du locataire.
Avantages de la clause d’interdiction
Le locateur peut toujours demander la résiliation du bail de son locataire lorsqu’il croit être en mesure de prouver un préjudice sérieux (6). Ainsi, quel est donc l’avantage d’insérer une clause interdisant la culture du cannabis et la consommation de celle-ci dans un logement?
L’ajout d’une telle clause a le mérite de faire savoir aux locataires que le locateur interdit la culture ou la consommation de marijuana. Elle facilitera la preuve du locateur dans le cadre de procédures judiciaires. Advenant le cas ou un préjudice sérieux ne pourra être prouvé, le locateur toujours pourra demander l’exécution en nature de la clause et qu’il soit interdit à son locataire de fumer de la marijuana.
L’interdiction de la culture de marijuana dans les logements étant en contradiction avec la loi fédérale, il est possible que la loi provinciale soit contestée.
Il sera intéressant de voir l’évolution de la jurisprudence au cours des prochaines années.
[1] 2019 QCRDL 6783
[2] R&H Management 2011 inc. c. Lemieux, 2019 QCRDL 9169
[3] Cholette c. Cuellar, 2018 QCRDL 23044
[4] 2012 QCRDL 30808
[5] Leclerc c. Hubert, 2018 QCRDL 23159
[6] voir notre chronique Consommation de cannabis dans un appartement et résiliation du bail